Sur la goélette La Reprise, début novembre 1856...
Au début du mois de novembre 1856, vers le déclin du jour, les pilotes du port d’Agde aperçoivent en mer un navire d’environ 100 tonneaux qui fait voile vers la terre. La mâture semble en désordre et les flancs du navire portent la trace du choc violent d’un récent abordage.
Quand les pilotes approchent, ils voient avec étonnement que le bâtiment marche tout seul pour ainsi dire. Du moins le pont semble désert. Pas de capitaine, ni de timonier, ni même de matelots. On aperçoit qu’un mousse allant et venant de tribord à bâbord, passant de la barre aux amures, et faisant à lui seul tout le service d’un équipage. Il s’appelle Stanislas Perret. Et, dans un coin du navire, un pauvre homme couché, pâle et tremblant, hors d’état de se tenir debout.
Que s’est-il passé ?
Ce navire s’appelle La Reprise. C’est une goélette partie quelques jours plus tôt du port d’Hyères à destination de Dunkerque, avec un chargement de sel. Le début du voyage se passe sans encombre jusqu’à la nuit du 5 au 6 novembre, où elle est abordée sur bâbord par un brick de fort tonnage, à la hauteur du Cap Creus.
Le capitaine, épouvanté et croyant sentir couler bas sa goélette, s’élance sur le brick en s’accrochant aux cordages et en appelant à lui tout son monde. Deux matelots et deux novices le suivent aussitôt en criant au jeune Stanislas : « Hâte- toi, fais comme nous !
».
Pourquoi ce jeune mousse, de tous le plus agile, ne les a-t-il pas imités ?
C’est qu’il y a à bord un malheureux, incapable de se sauver : Pierre-Ange Formal, un matelot lui aussi originaire de la presqu’île de Quiberon. Formal était tombé malade un peu plus tôt et le jeune Stanislas, sans jamais négliger son service, donnait à son compatriote des soins assidus. Saisi de compassion et ne voulant pas abandonner son compatriote, il décide de rester sur La Reprise avec lui.
Le navire étranger s’éloigne rapidement, les feux de ses lanternes se perdent bientôt dans l’épaisse nuit et disparaissent des yeux de Stanislas.
Dans le premier moment, il en a fait l’aveu, lorsque les deux navires se séparent après un craquement effroyable, quelques larmes lui échappent. Il croit à son dernier jour et recommande son âme à Dieu. Mais au bout de quelques secondes, lorsqu’il voit que le bâtiment, malgré ses avaries, flotte toujours et peut naviguer, un courage surnaturel s’empare de ce jeune cœur. La mer est houleuse et le vent fraîchit. Ses petits bras suffiront-ils à la manœuvre? Cette réflexion ne lui vient pas. Il s’élance au gouvernail. Son pauvre compagnon ne peut lui prêter secours mais il est vieux marin. Perret l’écoute, le consulte, se laisse guider par lui. Soumis et confiant, ses yeux brillent d’espoir : il reverra sa mère, sauvera son camarade, sauvera son navire. Cette pensée double ses forces et, d’un enfant de 13 ans fait un matelot consommé.
Le jour est bien long à venir ! Le vent pousse vers la côte d’Espagne. Il faut résister pour s’écarter le moins possible du lieu témoin de l’abordage, seule chance de recevoir du
secours. Ce brick, auteur du mal, voudra peut-être le réparer ? Il reviendra au jour naissant, on se mettra à sa remorque ? Voilà ce qu’on espère à bord de La Reprise.
Mais l’attente est vaine. La journée se passe et le brick ne vient pas. Il continue paisiblement sa route et entre vers le soir à Marseille. On apprendra plus tard qu’il se nommait Le Prosper.
Cependant la nuit tombe, et les fatigues redoublent. Le lendemain, trois bâtiments paraissent à l’horizon mais aucun d’eux ne veut comprendre les signaux du petit navire. Par bonheur, le ciel devient plus clément. Le vent tourne et souffle du sud. En manœuvrant prestement, on peut être avant la nuit en vue d’un port de France. Le surlendemain, il est midi lorsque les côtes du Languedoc lui apparaissent dans le lointain. Il voit avec joie qu’il n’a pas fait fausse route et, plein d’espoir, il continue à naviguer.
Vers trois heures après midi, il arrive à l’embouchure de l’Hérault et, mettant en panne, faisant des signaux comme un capitaine expérimenté, il demande un pilote pour remonter la rivière. Quand Stanislas débarque à Agde, on lui fait un accueil plein d’admiration et d’enthousiasme. Les capitaines du port embrassent avec effusion l’héroïque enfant qui, heureux d’avoir sauvé son ami, ne s’occupe que de le faire installer commodément à l’hôpital.
Voilà, un fait de mer qui ne pouvait demeurer inconnu. Mais savez-vous aussi en quels termes modestes, énergiques et simples ce brave enfant, une fois à terre, raconta ce qu’il avait accompli ? Capitaine par intérim, il devait faire devant le tribunal de commerce son rapport de relâche. Dans ce rapport, pas un mot de reproche à ceux qui l’ont abandonné, tout l’honneur de sa belle conduite attribué aux conseils de son vieux compagnon. A chaque mot, on sent une âme aussi honnête que forte, un cœur aussi chaud que sincère.
Après tout ceci, on ne s’étonne pas d’apprendre que depuis deux ans qu’il navigue pour le commerce, Perret n’a rien gardé pour lui du produit de ses salaires. Il a tout envoyé à Quiberon, dans la pauvre cabane où sa mère, à grand-peine, élève trois autres enfants. Cherchez un bon sentiment qui lui manque : compatissant au malheur, généreux, dévoué, docile à l’expérience, dur à la peine, intelligent et intrépide. Le public s’est pris, pour ce noble enfant, d’une juste admiration.
Stanislas Pierre Marie Perret reprend la mer peu après sur La Reprise et débarque à Dunkerque le 12 mars 1857. Il est dirigé vers Paris sur ordre du Ministre de la Marine où il sera décoré d’une médaille de première classe en or et une médaille de 1 000 francs (prix Monthyon). L’Impératrice a aussi promis de s’occuper de son avenir. Il sera donc envoyé à Brest pour incorporer l’école des mousses où il restera du 1er janvier 1858 au 1er juin 1859.
Une autre source nous apprend qu’il sera même béni et pris sous la protection spéciale de l’évêque de Quimper.
La carrière maritime de Stanislas Perret
Stanislas Perret est né à Kerhostin le 2 février 1844 de Pierre Antoine Perret (premier instituteur de la commune, voir notre article Ker 1856) et de Marie Simone Le Corvec. C’est le neuvième enfant du couple qui en aura au total 10, quatre garçons et six filles.
Il devient inscrit maritime le 18 Mai 1855, à l’âge de 11 ans. Son premier embarquement a lieu le 2 juin 1855, sur le lougre Edouard, inscrit au rôle de Calais. Il est débarqué le 9 juillet pour rembarquer sur le sloop Espérance, rôle de Cherbourg, toujours au cabotage jusqu’au 20 août 1855. Il ne rembarque ensuite que le 31 janvier 1856, cette fois sur le brick goélette La Reprise, rôle de Dunkerque, pour débarquer le 15 octobre 1856. Il rembarque huit jours plus tard sur le même navire, inscrit cette fois au rôle d’Agde, un peu avant que le navire ne soit abordé par le brick Prosper.
Les registres très détaillés de l’inscription maritime nous renseignent un peu sur l’anatomie de Stanislas Perret à l’âge adulte. Il mesure 1,60 mètre, taille commune pour l’époque. Ses cheveux et ses sourcils sont blonds. Ses yeux sont roux et son nez aquilin, sa bouche est petite, son menton rond et son visage ovale. Il démarre sa carrière comme matelot de l’Etat sur la corvette à voile La Bayonnaise. A son embarquement, en février 1862, il a alors le grade de matelot de troisième classe. Il débarque en avril de la même année puis passe successivement par les dépôts de Cherbourg et Lorient. Il devient matelot de première classe le 1er janvier 1863 et embarque sur L’Espadon, pour une durée d’un mois et demi. Il embarque peu après sur la Frégate Armorique sur laquelle il restera affecté trente-trois mois
L’Armorique est à l’origine une frégate à voile de troisième rang. Mise sur cale en 1850, elle n’est lancée qu’en mars 1862 car elle est transformée en frégate mixte à hélice. On la rallonge même de vingt-huit mètres en 1862 pour la modifier en corvette à batterie. Armée le 7 avril 1863, elle est mise en service le 7 juillet de la même année. Elle est commandée par le capitaine de Frégate Le Coat de Saint Haouen. Ce navire est stationné au Gabon entre septembre 1863 et mars 1866. On retrouve sa trace à Gran Bassam (Côte d’Ivoire), Cap Coast (Ghana) et au Sénégal. Le retour vers Lorient a lieu en mars 1866 (source dossiers marine. Fr)
C’est sur ce navire que Stanislas devient matelot de première classe puis quartier-maître de manœuvre de deuxième classe le 1er juillet 1864 à l’âge de 20 ans. Le premier janvier 1866, il est promu quartier-maître de première classe.
Il débarque le 16 avril 1866, peu après son retour en France, pour un premier congé de convalescence de trois mois. Puis il passe par les divisions de Lorient et de Brest, jusqu’au 14 août 1866. Le 31 juillet 1866, devant le conseil d’administration des équipages de la flotte à Lorient, il déclare renoncer à la navigation à la pêche.
Il embarque ensuite sur la frégate à hélice Minerve qui vient d’être mise à flot le 10 juillet 1865. C’est un navire de soixante-quinze mètres de long qui peut porter 1 700 mètres carrés de voilure. Son hélice lui permet d’atteindre douze nœuds.
Stanislas Perret restera affecté quarante-trois mois sur ce navire. Durant cette période (1866-1870), la Minerve fait une longue campagne dans la mer des Indes, sur les côtes de Chine et du Japon. C’est aussi sur ce vaisseau qu’il obtiendra son grade le plus élevé : second maître de manœuvre de deuxième classe.
En avril 1870, il obtient un nouveau congé de convalescence de trois mois. Puis, il est affecté, pendant les deux dernières années de sa carrière, à la division de Lorient. Stanislas décède de diarrhée chronique à l’hôpital maritime de Port-Louis, le 25 janvier 1872. Il n’a que 27 ans et est encore célibataire. Son compagnon d’infortune sur La Reprise, Pierre-Ange Le Formal, lui survivra puisqu’il meurt le 18 février 1878 à l’âge de 71 ans.
Sources : Presse ancienne, Inscription maritime S H D Lorient, Site net Marine,