C’est un grand et fringant « jeune homme » de 72 ans, tout sourire, que nous rencontrons et qui va nous confier ses souvenirs saint pierrois.
Jean-Luc Potevin est fils unique. Il n’a pour ainsi dire jamais vraiment quitté la Presqu‘ile.
Il est né le 26 septembre 1951 dans une maison de Kéridenvel nommée « Eole ». Sa mère, Alice Le Tallec est née en 1921 à Ploemel, son père, Albert est né à Auray en 1913. Ils sont tous deux décédés le jour de leurs anniversaires respectifs, (Madame le 05/03/1986, Monsieur le 18/12/2000). Coïncidence troublante, nous précise Jean-Luc, comme s’ils avaient effectué un cycle de vie complet. La mort, ce Saint Pierrois la côtoiera finalement assez souvent…
Des quartiers militaires...
Cette maison dont ses parents étaient locataires jusqu’en 1961 était située à côté du terrain militaire où s’entrainaient les camps d’engagés. Plus tard et jusqu’en 1990, ce camp est devenu une colonie de vacances qui accueillait les enfants des villes de Bourges et de Saumur dans des cabanes en bois près de « Port Pigeon » puis dans des bâtiments désaffectés de l’armée. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’en parlant de vent, c’est bien celui du tir des canons jour et nuit que le petit Jean-Luc entendit en guise de berceuse !
« Ca tirait constamment sur des cibles mouvantes ou non, nous raconte-t-il, un petit train sur des rails, ceux que l’on voit encore sur la côte sauvage, servait de cible. Périodiquement, Les chars arrivaient par train à la gare de Saint-Pierre Quiberon, entre 1950 et 1960, c’était déjà un petit évènement pour nous, du haut de nos 10 ans de voir ces gros véhicules, on adorait voir tout ce manège militaire. Parfois on aidait, comme on pouvait, les militaires à pousser les wagons pour les mettre sur le bon chemin vers le camp. Avec les copains de l’époque,(Henri Le Pennec et Jojo Hémery décédé aujourd‘hui ) on s’amusait à récupérer des petits grains de poudre qui s’échappaient des obus, ça ressemblait à des petites crottes de souris. On les mettaient au fond des tubes d’aspirine vides (en alu à l’époque), un bout de mèche glissée à l’intérieur et hop ! voilà des petites fusées « fabriquées maison » qui nous faisaient bien rire !
Rire, il le fallait de temps en temps pour supporter notre mode de vie car nous avons vécu un peu dans la misère comme beaucoup à cette époque, nous précise-t-il, pas d’eau courante mais à la pompe, pas d’électricité mais la lampe à pétrole, le chauffage au bois ou au charbon et les tinettes, dehors ! ».
Le père de Jean-Luc était, à l’époque, charretier chez Mélédo, à Quiberon et transportait, grâce aux charrettes à cheval, les blocs de pierre, probablement du granit, de la carrière du « Roch Priol ». Il y avait plusieurs carrières de pierres sur la Presqu‘Ile. Il travailla ensuite pour les Ponts et Chaussées (toujours une pelle à la main finalement) à faire le goudron pour la commune du temps de M. Correri, le maire de Saint-Pierre Quiberon de l’époque.
La mère de Jean-Luc a travaillé à la « Bonne Bretonne » jusqu‘en 1960 et s’affairait à rejoindre, à vélo, l’usine de poissons dès que la corne de brume sonnait, de jour comme de nuit, pour annoncer l’arrivée de la pêche.
Une vie simple mais rude car laborieuse. Jean-Luc a pourtant conservé toute sa bonhomie en nous racontant qu’heureusement cela n’a pas duré longtemps et que ses bons souvenirs de l’époque étaient d’aller le soir rentrer les bêtes de la ferme d’à côté (celle de la famille HEMERY), de leur donner du foin et de ramener à pied le bidon de lait quotidien. Rejoindre les copains à l’école faisait aussi partie de bons moments.
Jean-Luc a d’abord fréquenté la maternelle chez la sœur Marie-Louise, puis les cours des » Bonnes sœurs noires » à Saint Joseph puis enfin l’école de Keraud.
« Il n’y avait que deux classes, le CM1 et CM2 et nous n’étions que trois à suivre cette division. J’étais camarade avec Joël Urien (frère de Mme Canot) et Christian Bertic. Jean-Luc se souvient qu’il y avait une composition par mois à rendre. Ses enseignants, sévères, M. Martin, un civil, puis l’abbé Gallerne, ne lui ont jamais remis de médaille pour ses résultats ! Les deux autres copains, eux, raflaient tout sur leur passage et Jean-Luc était toujours bon troisième ! Une fois, pourtant, le podium lui sourit, la médaille au creux de la main, Jean-Luc fut heureux et fier. Mais sa modestie le rattrape et il nous précise en blaguant : « J’ai eu la médaille sûrement parce qu’un des deux autres était tombé malade ! »
De sable et de sang
En 1961, la famille Potevin est en mouvement : changement de lieu de vie et de travail : ils deviennent les gardiens de l’abattoir municipal de Saint-Pierre -Quiberon et sont logés dans une petite maison aux volets rouges, en face de l’ actuelle société des Régates et à la place de l’actuelle petite résidence «Voiles et Tennis» . Le déménagement se fit en charrette tirée par un cheval.
Saint-Pierre Quiberon détenait des abattoirs municipaux à Kerbournec : Il s’agissait d’un long bâtiment construit le long de la plage et cerné d’une petite enceinte en pierres. Trois box le composaient, trois portes en bois, une pompe à eau dans la courette, un égout en ciment. Pas d’électricité. « Le bâtiment n’a presque pas changé » nous confirme Jean-Luc. A l’arrière de ce bâtiment, trois portes desservaient trois pièces: une pour stocker le matériel de jardinage/outillage de la famille, les deux autres en guise d’antichambre de la mort avant l’exécution finale des bestiaux !
Chaque boucher et charcutier de Saint-Pierre avait son box attitré :
- Le 1er box appartenait à M. Jégat, boucher, dont l’échoppe était établie en face de l’actuel bar » Le Kraken ».
- Le 2ème box pour M. Pillet, charcutier, actuellement la charcuterie « Les deux gros ».
- Le 3ème box était occupé par la boucherie de M. Bruzac, qui avait sa boutique, auparavant, en face de l’actuelle maison de la presse.
Pour se fournir en bêtes, les bouchers de Saint-Pierre faisaient la tournée des campagnes et des fermes alentours mais aussi à Ploemel, Carnac et achetaient les animaux qui arrivaient en fourgon, Jean-Luc se souvient de l’odeur des paillasses mêlées aux excréments ! « Ca beuglait là-dedans et pendant toute la nuit» nous dit-il, « je les entendais de ma chambre d’enfant ». Veaux et vaches étaient débarqués à l’arrière du bâtiment en attendant l’exécution finale du lendemain. Le jour « J » , il fallait sortir les animaux, ils faisaient un dernier tour de piste pour revenir à l’avant du bâtiment devant le box fatal. Le boucher sortait le « Matador » (sorte de gros pistolet qui assommait mortellement l’animal) puis faisait son travail de dépeçage et de découpe. Il y avait un autre petit bâtiment derrière l’abattoir principal qui servait de saloir. On salait les peaux retirées des carcasses, elles séchaient à plat mais attiraient de nombreux visiteurs : les rats pullulaient. Pour les veaux, afin que la peau se décolle plus facilement, on posait une pompe style pompe à vélo entre la peau du veau et sa chair et le gonflement décollait les chairs.
Il arrivait que des cochons subissent le même sort. Un box, celui du milieu, celui de M. Pillet, leur était réservé car il y avait un trou aménagé spécialement pour récupérer le sang. Après avoir été tués, les cochons étaient ébouillantés dans une baille en bois, «on faisait bouillir l’eau dans un gros chaudron dès potron-minet « nous raconte Jean-Luc. Cette technique permettait de retirer plus facilement la soie du cochon avant l’équarrissage. Se mettre à la baille, c’est aussi ce que faisait les touristes avides des premiers bains de mer de la saison ! « D’ailleurs, un jour, des cochons, paniqués, se sauvèrent vers la plage au milieu des touristes ! Quelle belle pagaille ! »
Les commis-bouchers (Jean-Luc se souvient de François Le Rol) aidaient à toutes les manœuvres: les viscères, les excréments et le sang des bêtes étaient rincés à l’eau de la pompe et évacués des trois box vers l’unique égout de la plage. Une grille posée à l’embouchure de cet égout était censée retenir tout ce qui n’était pas liquide. Mais pour accélérer le nettoyage et augmenter le débit d’évacuation, certains commis l’avaient retirée ! La plage toute proche devenait vite souillée par les entrailles ! Jean-Luc et sa mère, se levaient tôt le matin et allaient, seau en main, nettoyer et ramasser sur le sable et dans les algues tout ce qui aurait pu choquer les touristes adeptes de sérénité matinale. « On a évité le remake des « Dents de la Mer » à plusieurs reprises » nous raconte-t-il ! Les flots, en revanche, à cet endroit regorgeaient de poissons et plus précisément de mulets, allez savoir pourquoi ? (NDLR :voir la page « Toutes les brèves« / avril 2022 » l’anecdote Ker 1856 à ce sujet)
Un registre des entrées et sorties des bestiaux était tenu par la mère de Jean-Luc. C‘est elle aussi qui vérifiait et notait leurs poids et estampillait les carcasses avec un « tampon-roulette » de la cuisse jusqu‘à la tête de l’animal. Elle vérifiait également que les taxes municipales avaient bien été acquittées. « Ces registres ont malheureusement disparu lors d’un des nombreux tris de notre grenier ». nous confie Jean-Luc légèrement désappointé, cela aurait été un formidable témoignage. Le vétérinaire, le Dr Pleyber, venait très épisodiquement voir si tout était en ordre.
Les normes d’hygiène étant devenues plus restrictives au fil des années, l’abattoir municipal a dû fermer ses portes entre 1966 et 1967. Le bâtiment abrite dès lors, la SRSP, la Société des Régates de Saint-Pierre Quiberon et offre un traitement beaucoup plus ludique à ses élèves moniteurs de voile !
D'encens et d'os
Durant toute cette période, Jean-Luc continua sa scolarité à Quiberon à Saint Clément puis à Saint Anne. La mixité des cours, en 1967,a un peu trop distrait le jeune homme et une convocation aux parents les informant de son manque d’assiduité, a décidé de sa nouvelle réorientation. « Avec toutes ces jolies jeunes camarades, les cours sont restés un petit peu derrière moi » avoue- t-il en souriant. Les premiers émois ….
Jean-Luc passa donc avec succès son CAP de menuisier en 1969 à Auray. Il travaillera le bois toute sa vie, à Erdeven. Il nous confirme qu’une menuiserie existait autrefois à Portivy, la menuiserie Enginger, à droite du lavoir, dans une ruelle en cul de sac. Cette entreprise était précédemment tenue par la famille Sonic .
A la fermeture de l’abattoir, une nouvelle vie se profile pour la famille Potevin: sa mère trouve un emploi à l’ENV (devenue ENVSN) auprès de M. Jo Le Bourgès et pendant les vacances d’été Jean-Luc profite des joies de la voile en tant que moniteur de 1967 à 1969. M. Jo Le Bourgès fut le premier à transformer ce vieux fort en école nationale de voile et à en faire un lieu réputé quant à la formation des cadres et moniteurs. Elle était la seule en France à délivrer les brevets de navigation du 1er au 3ème degrés et devint à un moment assez prestigieuse et internationale : on pouvait y croiser l’Infante d’Espagne ou des représentants des Emirats lors de courses nautiques. Jean-Luc se souvient d’avoir croisé Éric Tabarly qui venait à la messe en Harley Davidson ! «D’ailleurs, » nous dit-il, » il aimait tellement les Harley que les voiles de ses bateaux ont toujours été noires et oranges en hommage à la marque mythique ! » Le Pen Duick 2 a longtemps été exposé sur son support à l’entrée de l’ENV. ( NDLR : les Pen Duick 2 et 5 appartiennent toujours à l’ENVSN bien qu’ils soient présentés à Lorient à la Cité de la Voile, confirme l’actuel Directeur)
Tandis que sa mère travaillait à la cuisine de l’ENV, son père eût des rôles primordiaux dans notre petite commune : Il aida à la gestion des déchets ménagers de la commune mais fut aussi fossoyeur municipal.
Jean-Luc nous raconte que dans les années 50/60 et jusqu‘en 1980, la gestion des déchets sur la Presqu‘ile de Quiberon était pour le moins assez primaire ! Son père a fait partie, avec Adrien Evanno et Martial Rio, de l’équipe de « nettoyeurs ».« Au pied de la vieille tour, c’était la déchetterie. A la pointe du Percho, en face de la rue du stade, se trouvait une rampe en ciment (on en retrouve des restes encore aujourd‘hui) et l’unique camion de la commune qui ramassait les poubelles s’approchait le plus près possible de la falaise et la benne vomissait régulièrement tout à la mer ! .Cela attirait beaucoup de poissons et crustacés certes à cet endroit, mais tout n’était évidemment pas biodégradable. Les déchets étaient empilés sur la lande à Kerniscop, on mettait un filet dessus pour éviter que les mouettes fassent ripaille et surtout que par grand vent c’est-à-dire tout le temps, les déchets ne s’envolent . Heureusement , de nouvelles réglementations sont venues assainir ces pratiques.
Fossoyeur, le père de Jean Luc Potevin l’a été de nombreuses années .« Il en a mis quelques-uns dedans et maintenant il y est ! » nous lance ironiquement Jean-Luc qui se rappelle que son père partait tôt le matin, était seul à piocher par tous les temps, parfois jusqu’à trois tombes par semaine pour installer les défunts dans leurs dernières demeures.
Et certaines fois, il fallait déplacer les ossements pour les installer dans des reliquaires en bois stockés tout près du cimetière.
« Mon père rentrait déjeuner tous les midis à la maison » et le jeune homme se rappelle l’ avoir vu plusieurs fois revenir le visage creusé et le teint pâle de fatigue et de frayeur. Il lui racontait des tas d’anecdotes intrigantes. « Un jour ,il nous a dit, blême, qu’il avait dû déterrer une tombe et qu’il avait trouvé le cercueil mis dans le sens vertical et non comme à l’accoutumée à l’ horizontale ! L’homme avait été enterré debout ! Pourquoi ? Un rite inconnu ? Inutile de vous dire que cela nous a tracassé un moment ». « Une autre fois », nous dit-il, « mon père est rentré totalement bouleversé : il avait dû ouvrir un cercueil, probablement pour le déplacer, une bouffée de gaz s’en était échappée, et le corps du défunt endormi là depuis plus de cinquante ans était apparu totalement intact. Aux atours qu’il arborait, c’était probablement un noble. Passée la première stupeur, mon père a touché la barbe du mort et tout s’est effondré en nuage poussiéreux ! Comment se peut-il qu’un corps sans être embaumé résiste à cette longue nuit ? » Jean-Luc et ses acquis de menuisier nous parle de la qualité du bois du cercueil mais l’imagination du jeune enfant, à l’époque, a préféré divaguer dans le mystère de la matière …
Des moments joyeux comme la Fête-Dieu qui voyait toute notre commune enjolivée par des couronnes de fleurs, des chants, les processions et les nombreux arrêts aux reposoirs (NDLR : Nous détaillerons dans un autre article ce rituel festif disparu), Jean-Luc les a tous bien connus. Il se souvient, tenant l’encensoir, qu’il recevait des dragées pour les communions et les mariages en guise de remerciements, c’était le bon côté du job, mais que parfois les choses devenaient plus sérieuses. C’était le cordonnier du village , Mr J. Thomas, qui pratiquait les toilettes mortuaires. Un missel était mis sous le menton du défunt pour que la bouche reste close pendant que le corps devenait dépouille. Pendant ce temps, les dévotes du village instauraient veillées, prière et distribution de gâteaux. Le curé se rendait au domicile du disparu avec le corbillard à cheval et l’enfant de chœur. Un voile noir arborant l’initiale du patronyme du disparu toisait le porche de l’entrée et nous indiquait le lieu du sacrement, les miroirs des maisons étaient eux aussi masqués. Jean-Luc nous raconte, qu’un jour d’intense pluie, le trajet assez long ne les épargna pas : l’encensoir se transforma en arrosoir au moment de la bénédiction et le curé devint furie mais l’enfant qu’il était à l’époque a bien ri !
7 Responses
Incroyable vie , passionnant. Très très instructif. Merci .
Passionant
De très beaux souvenirs, merci Jean Luc pour cette contribution.
Merci pour cet article.
Le plus beau dans cette histoire c’est que vous me permettez de découvrir une photo de mon grand père jeune (Adrien Evanno) sur son lieu de travail.
Merci de nous avoir partagé cette histoire.
Nous sommes née la même année JEAN LUC, le 17 mars 1951 ,je m’appelle Yolande Bernery j’habite à KERNISCOP et j’ai eu presque la même vie que toi ,l’eau à la pompe ,lampe à pétrole, et tinette dans le jardin, que de bons souvenirs, nous n’avions rien mais quesqu’ont étaient heureux très très beau témoignage
Grand merci à mon voisin Jean Luc, ce récit est passionnant et toujours instructif. La mémoire sur la vie autour de l’abattoir de Kerbourgnec me revient ainsi que la personnalité de la maman
de Jean luc que nous appelions « La grande Alice ». Le passé de Saint-Pierre nous révèle que la commune avait une âme et une particularité d’être une commune littorale, avec son abattoir.
( en plus avec les photos, c’est un article en or).
Encore merci à Jean Luc et à toute l’équipe de KER 1856
magnifique reportage, et plein de souvenirs aussi. Marci @Jean-Luc