Ernest Guérin: un grand artiste breton
Ernest Guérin est né à Rennes en 1887. Son père, crieur à la salle des ventes, collectionne de nombreux objets d’art qui entourent le jeune Ernest dès son plus jeune âge. Élève au collège St Martin, il décide à l’âge de 15 ans d’entrer à l’École des Beaux-Arts de Rennes. Entre 1902 et 1907, il choisit d’emblée une triple voie artistique : celle de la peinture, de l’architecture et des arts décoratifs. Très tôt, l’œuvre des primitifs flamands, des peintres gothiques et des préraphaélites le fascine ainsi que les techniques anciennes et plus particulièrement l’enluminure médiévale qu’il maîtrise très rapidement. A travers ce médium, Guérin se réapproprie une partie de la culture régionale, notamment sa religiosité (il réalise des pages de missels, d’illustrations liturgiques et de figures de saints catholiques), mais aussi son histoire (celle de la cour de Bretagne) sans oublier ses légendes celtes, dont le cycle arthurien (enluminures ci dessous).
Enluminures . Aquarelle et gouache sur Vélin. Collection particulière
Après ses études, il quitte la Bretagne pour la capitale où il intègre un cabinet d’architectes afin de gagner sa vie. Il apprend l’art du vitrail et participe à la décoration de l’Hôtel Lutetia. Peintre enlumineur avant toute chose, Ernest Guérin expose pour la première fois en 1913 dans l’aile Marsan au Palais du Louvre (Musée des Arts Décoratifs). Ses aquarelles et ses enluminures remportent un vif succès. Lors de cet événement, l’écrivain et illustrateur Eugène Le Mouël qualifie Ernest Guérin de « jeune imagier de la Bretagne », une épithète qui lui sera attribuée jusqu’à aujourd’hui ! Sa création artistique est très soutenue à travers toute l’Europe par l’aristocratie de cour mais aussi par les Bretons de Paris dont Théodore Botrel et le docteur Guérault (président de la Fédération des Bretons de Paris).
Durant cette même année, il se marie le 16 août avec Renée Lebouc tandis que la Cour d’Angleterre l’honore d’une commande royale d’enluminure.
Mobilisé en 1914, il rencontre en 1916 Anatole Le Braz, fervent défenseur et admirateur de son œuvre. Unis par leur Bretagne de cœur, les deux hommes nouent une profonde et durable amitié. Libéré de ses obligations militaires, entre 1916 et 1918, l’artiste travaille d’arrache-pied pour une commande de l’Hôtel Moderne à Rennes où il réalise une série de toiles monumentales exécutées à l’huile, représentant la ferveur des Pardons (la plus grande de ces œuvres est entrée dans les collections du Musée des Beaux-Arts de Rennes).
Durant cette même période, il va vivre à Porspoder et, au cours de multiples incursions, découvre le pays bigouden, cette Bretagne rustique, encore ancrée dans un passé proche, qui va imprégner durablement son œuvre dans son imaginaire.
Sa vie à Quiberon à partir de 1918
A la fin de l’année 1918, à la recherche d’un endroit paisible où il pourra travailler et vivre confortablement en famille, Ernest Guérin choisit la Presqu’île et plus précisément Quiberon. Il fait l’acquisition d’une propriété à la pointe de Beg-Er-Vil et s’y installe avec femme et enfants (Patrick, Yves et Annaig suivis de la naissance de Judicaël en 1920 et de celle d’Haude en 1922).
Sa Villa « Ty Santez Anna » (demeure de Sainte-Anne) se situait à l’emplacement actuel de l’Hôtel « La Petite Sirène ».
Grâce à sa formation d’architecte, la bâtisse qu’il juge trop petite subit une extension et un réaménagement intérieur très personnalisé. Il dessine lui-même les éléments de décoration, notamment les vitraux, une partie du mobilier et une imposante cheminée en granit (toujours visible dans la salle à gauche de l’entrée de l’hôtel, elle se situait auparavant dans la salle à manger de la villa).
L’architecture extérieure épurée et d’aspect moderne tranche avec un intérieur chargé de celtitude. Grand amateur et collectionneur d’art breton, bibliophile averti, l’artiste souhaite faire cohabiter des meubles régionaux de qualité muséale avec ses collections d’objets d’art populaire et sacré qu’il rapatrie en partie de Bignan. Des gravures religieuses et des saints bretons ornementent murs et mobilier. Il refuse le renouveau artistique breton du mouvement Seiz-Breur, et donne place à la seule Bretagne ancienne. L’artiste, prêt à la dépense, recherche un idéal de vie entre la culture bretonne d’un passé révolu et un certain confort lié à la modernité. En février 1924, la singularité de Ty Santez Anna, si typique, nourrit un long article d’Albert Maumené dans la revue « La vie à la campagne ».
Plusieurs domestiques travaillent à demeure chez ce fin gourmet, amateur de grands vins et des produits de la mer. Les bons plats abondent à la table des Guérin grâce aux talents de Madame en cuisine. Cette dernière tient également les cordons de la bourse car l’artiste semble ne jamais compter !
Comme la maison exposée aux vents dominants n’offre pas les meilleures conditions à toute volonté de floraison, au fil de ses balades, Guérin revient très souvent avec des pierres ou des galets ramassés dans les criques ou le long des grèves. Inspiré par leurs formes, il lui vient à l’idée de construire un jardin extraordinaire fait d’assemblages rocailleux comme des sortes de « cairns ». De petits monuments finissent par sortir de son imagination et de terre sous forme de fontaines, de mégalithes, de dolmens, de tumulus ou encore de colonnes antiques. Tel un adepte de l’art brut, il érige dans son jardin secret tout un univers minéral. Il y a encore quelques années, des restes de colonnes soutenant une pergola déjà disparue subsistaient à l’arrière de l’hôtel.
Son atelier aux proportions modestes, orienté nord, se situe à l’étage. Dans un ordre parfait, avec le meilleur matériel possible pour réaliser ses fameuses miniatures à l’aquarelle, l’artiste travaille dans l’intimité et le silence. Plus tard, seule sa fille Haude aura le droit de préparer les planches à dessin en les découpant aux dimensions souhaitées par son père. Marcheur infatigable, il revient avec en tête le sujet qu’il exécute en atelier sans travail préparatoire et sans reprises. C’est en ce lieu précis que la mémoire ressurgit et que la magie opère au bout de ses poils de pinceaux ! Des œuvres si fines, si petites, si précises qu’elles défient les lois de la virtuosité. Ses personnages faits de minuscules taches d’aquarelles cerclées à la mine de plomb animent ainsi ses papiers avec un sens des détails inouï !
Le décès soudain et douloureux de leur fille Annaig en 1925 pousse les Guérin à changer d’air. Ils déménagent et s’installent à Dinard où une galerie d’art voit le jour en 1926. Malgré une vie mondaine très cosmopolite qui lui apporte une reconnaissance internationale, l’inspiration du peintre n’est pas la même, la proximité de l’océan lui manque et la famille finit par regagner Quiberon en 1931. La galerie de Dinard fermera en 1933.
Quant à celle de Quiberon, elle voit le jour dès 1925, Place Hoche. D’après certains témoignages, et sur la foi des cartes postales anciennes, elle se situait au numéro 16 à l’emplacement actuel du magasin « Papa pique et Maman coud ».
«Moi, je peins et toi, tu vends!» annonce d’emblée Ernest Guérin à sa femme.
Malgré la charge familiale, cette dernière relève le défi avec succès et démontre très rapidement ses talentueuses capacités commerciales. Elle valorise l’œuvre de son mari à tel point que de nombreux Quiberonnais succombent à ses arguments de vente (facilités aussi par la qualité des œuvres). De nombreuses aquarelles ont encore aujourd’hui leur place dans les maisons de familles quiberonnaises, transmises d’une génération à une autre. Pour seul exemple, le Château Turpault, propriété d’un industriel du textile à Cholet, possédait dans une de ses salles pas moins de vingt œuvres du Maître de Quiberon.
En 1942, les Allemands occupent la Presqu’île de Quiberon. La famille Guérin décide de se replier dans les terres à Bignan.
En 1943, les yeux de l’artiste se fatiguent. Proche de la cécité, il décide d’abandonner la miniature.
L'évolution de ses techniques
Après avoir sublimé au début de sa carrière le médiévisme avec son merveilleux travail d’enluminure, Ernest Guérin s’adonne de manière prolifique à l’aquarelle avec différentes approches esthétiques. De sujets purement ethnographiques comme des scènes remarquables de pardons sous forme de triptyques, en passant à une production récurrente de scènes plus rustiques faites de chaumières disproportionnées et animées de petits personnages en costume régional, Ernest Guérin trouve dans la Presqu’île d’autres voies propres à ce territoire où la nature est omniprésente.
Scènes remarquables de "pardons" sous forme de triptyque. Collection particulière.
Triptyque du pardon de Tronoën et deux détails
Deux détails du triptyque du pardon de Tronoën
Deux détails de deux autres triptyques de pardons
Scènes rustiques de chaumières, animées de petits personnages en costume régional
Paysages maritimes. Dates entre 1930 et 1943. Aquarelle et gouache sur papier. Collection particulière
La presqu'île peinte par Ernest Guérin
L’influence du Japonisme avec la technique de l’estampe lui ouvre ainsi des voies, avec les superpositions de plans et la recherche de la simplification des formes. Mais c’est surtout la sauvagerie de l’océan qui influence son travail, tendant vers une harmonie universelle liée à la confrontation des différents éléments naturels.
Ensuite, son œuvre finale sera marquée par une forme d’impressionnisme où Ernest Guérin réussit un véritable tour de force artistique. Ses aquarelles à la fluidité vaporeuse tentent avec succès de reproduire les effets atmosphériques si changeants dans la Presqu’île. Les embruns, l’écume, les flots, les nuages, le vent, le sable, les roches, ne résistent pas à son écriture fulgurante, diluée et pourtant au rendu final si proche de la réalité sensorielle ! Rarement l’artiste précise un lieu géographique à côté de sa signature. Mais la singularité de la Presqu’île l’oblige à titrer ses œuvres tant les lieux vécus l’ont marqué. Ainsi, défilent à l’encre les noms de sites locaux bien connus de tous : la route de Conguel, le Menhir de Conguel, Notre-Dame de Lotivy, Beg-er-Vil, Kervihan, Kerniscop, Kergroix, Port-Haliguen, Port-Kerné…)
NdlR : on notera que le titre Grande Côte est la dénomination ancienne et locale – traduite du breton – pour désigner ce que nous appellons aujoudhui La Côte Sauvage, terme francais créé avec le développement du tourisme
Attaché à la culture bretonne pour toujours
Tour à tour nostalgique, romantique, amoureux des mythes et légendes, Ernest Guérin le dandy « druide » à la barbe fleurie et aux longs cheveux tombant sur ses épaules, restera toujours attaché à l’identité bretonne et à sa culture. Il fréquentera, plus ou moins à distance, différents cercles intellectuels revendiquant une forme de régionalisme, tantôt modéré, tantôt radical. Mais l’homme trop respectueux de la République évitera de pactiser avec les franges indépendantistes de certains mouvements bretons proches de l’occupant (contrairement à son fils Patrick dont les convictions extrémistes et les actes politiques lui causeront fort tracas et grands soucis, surtout au moment de la Libération)
La galerie fermera en 1952 au décès de l’artiste. Il sera enterré dans le cimetière de Quiberon, où sa tombe est toujours visible. La stèle représente une très belle croix celtique en pierre de taille directe avec des inscriptions en creux dans le granit. Celle-ci semble abandonnée. Son allure simple et noble nous renvoie à l’image chevaleresque de la Table ronde, une dernière volonté de l’artiste plutôt réussie pour entretenir le mythe !
Ernest Guérin rencontra un vif succès tout au long de sa vie d’artiste. Il exposa régulièrement dans de nombreuses galeries : Omnia, Miller à Rennes, Mignon-Massart à Nantes, Jean Gaudu à St Brieuc, puis Georges Petit, Louis Carré, Ecalle, Claux à Paris, sans oublier des galeries à Roubaix, Lyon, Amiens, Lille, Bordeaux ….
Les collectionneurs étrangers (anglo-saxons, germaniques, flamands et nordiques) furent aussi des clients réguliers, exportant et diffusant ainsi son art au-delà de l’Hexagone.
Les deux galeries à Dinard et Quiberon présentèrent et écoulèrent l’essentiel de sa production surtout à une clientèle régionale et aux nombreux touristes de passage.
Une multitude d’œuvres a été acquise par l’État, par le Musée et la Ville de Rennes, la Ville de Paris, et le Musée de la Marine.
Excellente exposition au musée du Faouët du 6 avril au 6 octobre 2024
Ernest Guérin, Peintre et enlumineur breton
Catalogue de l’exposition : Anne Le Roux-Le Pimpec, Jean-Paul Eyraud. Éditions Coop Breizh. Musée du Faouët.
Références bibliographiques :
-Ernest Guérin, Imagier breton. Roman Petroff, Valérie Lagier, Philippe Le Stum. Éditions du Crabe. Musée des Beaux-Arts de Rennes (exposition du 28 septembre au 3 décembre 2001). -Musée départemental breton de Quimper (exposition du 21 décembre 2001 au 3 mars 2022)
-Ernest Guérin(11ème Festival d’art Saint-Briac-sur-Mer 9 juillet-27 août 2006). Romane Petroff
-Ernest Guérin, Peintre et enlumineur breton, Anne Le Roux-Le Pimpec, Jean-Paul Eyraud. Éditions Coop Breizh. Musée du Faouët.
-Quiberon Presqu’île. Claude Dervenn. Editeur : André Bonne