La longère de Kermahé

Extrait de l'article

Pierre Gouesin nous raconte une histoire de familles écrite au féminin pluriel à la ferme de Kermahé "Ty Izel" de 1843 à nos jours

Participants à la rédaction de cet article

Entretien de Pierre Gouesin par Gaël Le Bourgès et Jean-Claude Martin
Rédaction de l’article par Pierre Gouesin , introduction de Jean-Claude Martin.

Copie des images et textes interdits sans l'autorisation de KER1856

La longère de KERMAHE « TY IZEL »

M et Mme Pierre Gouesin nous reçoivent dans leur maison. L’accueil est chaleureux.
La conversation s’engage sur l’objet de notre venue, la maison. Le sujet captive tellement M Gouesin, qu’il nous a préparé une histoire de famille qui nous emporte , mais laissons le nous le dire avec ses mots.

La maison actuelle de Pierre et Marie-Armelle Gouesin
Localisation de la longère de Kermahé

Blottie au cœur du « HAMEAU », la ferme marine de KERMAHE semble comme surgie de la plage telle une sirène déposée là, sur le rivage, par une vague plus fougueuse que les autres, soulevée d’un coup par une bise de nordet bien connue, dans la baie de Quiberon, les soirs d’hiver.
Ses murs de granit, larges et trapus, soutiennent une solide toiture bravant les infortunes du temps.
Mais son orientation, divinement inspirée, permet aussi d’offrir – aux amoureux de la méridienne – le plaisir d’apprécier les longues journées d’estive à la douce chaleur pénétrante, jusqu’au tréfonds de l’être.
Oh ! l’ ivresse exquise des pierres armoriques…

Une histoire de familles écrite au féminin pluriel…
Depuis sa fondation en 1843, « TY IZEL » (maison basse en breton) a connu en effet près de 7 générations d’occupants, toutes de noms de famille différents car transmise par les femmes ; ainsi l’actuelle famille GOUESIN a-t-elle succédé aux familles EGLIN , LE DONNANT et JOURDAN.

Porte de Ty Izel -date 1843
Ty Izel vers 1910-1920

Les « JOURDAN »

Le meunier-boulanger, Jacques-Louis JOURDAN (1820-1857), est le premier propriétaire de la longère qu’il occupa en 1844 année de son mariage avec sa femme, Marie-Julienne LE VISAGE (1817-1899), soit 12 mois après la date de construction.

De nos ancêtres JOURDAN actuellement connus, Jean-Baptiste (1742-1804) est le plus éloigné dans le temps. Les traditions familiales le disaient originaire du Dauphiné. Né à REOTHIER- dans la vallée de la Durance (entre Briançon et Embrun, tout près de Mont-Dauphin) – puis arrivé à l’âge adulte, il était «employé aux fermes du Roy», c’est-à-dire au service de la collecte des impôts du royaume.

Mais quand et comment ce montagnard est-il venu s’établir en Bretagne ?
A défaut d’autres précisions, on peut cependant affirmer qu’avant 1782 (date de son mariage), il était en fonction dans la presqu’île de Quiberon – et plus précisément au Port d’Orange où transitaient déjà des navires de commerce (voire de guerre, sous pavillon anglais !) – comme agent du fisc, déplacé (comme ses collègues de l’époque) assez loin de sa terre natale pour ne pas avoir à subir d’éventuelles influences ou céder à la pression d’interventions néfastes à son efficacité professionnelle (le niveau des caisses du royaume étant souvent à l’étiage en cette fin d’Ancien Régime!). La Grande Révolution ayant mis fin au système du fermage des impôts, Jean-Baptiste dût alors se « reconvertir » comme marchand et aubergiste…

Seconde certitude, l’identité de son épouse: Jeanne-Françoise CLEMENT (1762-1835). Alréenne de 20 ans à son mariage, cette jeune fille (sans profession) avait donc une vingtaine d’années de moins que son mari…toutefois elle resta veuve plus de 30 ans!

La demeure du ménage JOURDAN-CLEMENT se trouvait donc située au Port d’Orange; et pendant leurs 22 années de vie conjugale, ce couple atypique eut 10 enfants (4 filles/6 garçons).

Leur fils aîné, Pierre-Marie JOURDAN (1787-1859) cordonnier de métier, s’est marié le 13/11/1810 avec Marie-Louise LE LOIREC (1790-1860) cultivatrice dont le père, Pierre LE LOIREC (1755-1824) était un « maître de chasse-marée » (à Kerdavid) et la mère, Marie LE BAYON (1754-1804) était la fille d’un «laboureur » (à Kerniscob) ayant travaillé dans la famille LE TOULLEC du manoir de Ker David construit en 1661 par M.Rochonvillé, commis de l’Amirauté…

Pierre-Marie , comme son père, eut 10 enfants à élever (4 filles/6 garçons) !

Certes ces 2 couples (celui de Jean-Baptiste comme celui de Pierre-Marie) ont dû respectivement souffrir la perte, en bas âge, de 2 et 3 de leurs enfants.

Métier de cordonnier

Quant à Jacques-Louis Jourdan , (notre ancêtre meunier -Boulanger  mort à 37 ans, cf.supra) il était le second fils de Pierre-Marie et Marie Louise .

Le couple Jacques Louis et sa femme Marie-Julienne (Le Visage) étaient les premiers propriétaires de Ty Izel  1843.

 Ils  travaillaient à la minoterie de leur oncle, Abraham JOURDAN (1796-1873) bâtisseur et premier exploitant (il fut un des adjoints de M GUILLEVIN 1er maire de Saint Pierre) du moulin à vent de KERBOURGNEC depuis 1820 jusqu’à la cessation d’activité suite à son décès, en novembre 1873.

La vente du moulin d’Abraham – outre le caractère facétieux du destin car, en dépit de son prénom ambitieux, ce célibataire de 77ans mourut sans descendance – sonna la fin d’une série d’étonnantes aventures commencées sous l’Ancien Régime, au temps de LOUIS XV et de LOUIS XVI.

Métier de meunier

Jacques-Louis et Marie -Julienne étaient  les parents de 4 enfants dont Théotiste (1848-1914). Celle ci, cultivatrice comme sa grand-mère paternelle Marie-Louise s’est mariée le 07/02/1872 avec un jeune capitaine au cabotage de Plouharnel, Pierre LE DONNANT (1844-1914)… reproduisant ainsi « l’idéal-type » du couple de ses grands- parents maternels LE LOIREC et très en vogue, ces années-là, dans la «BRETAGNE MARITIME» (la femme à terre et le mari en mer).

Le moulin de Kerbourgnec peinture de Unger

Arbre généalogique pour résumer et poursuivre l'histoire

Arbre généalogique cadre rouge pour identifier les personnes citées

Les « LE DONNANT »

Pierre Le Donnant
Théotiste Le Donnant-Jourdan

Le foyer Pierre LE DONNANT/Théotiste JOURDAN, est à l’origine d’un modèle original de transmission de l’habitation familiale puisque « TY IZEL » abrita, pendant plus d’un siècle, près de 3 générations successives.
Théotiste en effet – avec l’attribution de la longère grâce à la donation faite à son profit, le 16/02/1889, par sa mère M.Julienne LE VISAGE veuve de J.Louis JOURDAN – a ouvert une série d’héritages qui ont permis de conserver cette habitation de mère en fille.

Vers 1900 1910, la cour de la ferme Ty Izel
Le jeu de diabolo

Véritable « Mère Courage » au temps de « La Belle Epoque », fille de meunier-boulanger, épouse de capitaine-armateur, Théotiste a élevé seule ses 6 enfants [4 filles/2 garçons Emile (capitaine au cabotage à La Guérinière) et Marius « mort pour la France en 1915 » ] dans la ferme familiale de KERMAHE ( vache , cochon, couvées et clapiers etc.). 

Tandis que Pierre, naviguant au cabotage avec son équipage de port en port sur le littoral atlantique, chargeait et déchargeait des billes de bois à Cardiff en provenance de La Rochelle, puis du charbon à Nantes pour alimenter les chaudières des conserveries industrielles ou des chantiers navals de la Loire…sans oublier les célèbres pommes de terre à Noirmoutier; tout cela bien sûr aux risques et périls des colères océaniques.

Port d'Orange à St Pierre, déchargement de thons pour la conserverie et chargement du bois pour Cardiff (photo Ker1856)

Autre caractère singulier de Théotiste, sa capacité à conduire l’éducation de ses 4 filles dans une époque et un environnement en pleine évolution: qui sont donc les filles de Théotiste qui, à la veille de la première guerre mondiale, n’étaient alors que de jeunes femmes d’à peine 40 ans?

L’aînée des enfants – CHRISTINE (1872-1924) – est réputée pour avoir un tempérament bien trempé, douée d’une autorité naturelle d’organisation qui compensait les longues absences du chef de famille; apportant ainsi à sa mère un soutien apprécié de toute la sororité.


Deuxième fille et deuxième enfant – EMILIE (1874-1956) – complétait avantageusement sa sœur aînée en y ajoutant une force physique qui, selon la tradition familiale, impressionnait ses 2 frères cadets pourtant réputés être d’authentiques « mangeurs d’écoutes» comme leur père. Emilie puisait son énergie phénoménale dans une volonté farouche de développement du patrimoine foncier; seul susceptible, à la fin du XIX siècle, de pourvoir aux besoins des ressources alimentaires dans un territoire insulaire aux conditions de vie difficiles. Dernier trait de caractère d’Emilie, et non des moindres paradoxes, sa passion pour la terre se doublait d’une passion pour le ciel: la dévotion et la piété religieuses (si typiques de la Bretagne de l’époque) étaient, chez notre vieille « Tant’Lie », heureusement animées d’une foi aussi ardente que raisonnée par une méditation intelligente.

JULIENNE (1882-1961) souffrait d’un lourd handicap de déficience visuelle de naissance. Sa cécité ne lui a donc pas permis d’accompagner ses 2 sœurs aînées dans leurs activités d’entretien de la maison familiale ni encore moins aux travaux saisonniers de la ferme. Malgré cette infirmité et les douleurs chroniques d’une polyarthrite rhumatoïde invalidante, Julienne portait chaque jour sa coiffe bretonne du pays d’Auray et se dévouait courageusement dans de modestes mais utiles occupations ménagères indispensables à la vie domestique quotidienne (comme la couture par ex.)…et tout cela en égrenant un chapelet qui ne la quittait jamais, pieusement blotti dans le fond des poches de ses robes en tissu noir.

La benjamine née 15ans après sa sœur aînée, JEANNE (1887-1951) est la seule des 4 filles LE DONNANT à ne pas être restée célibataire; faut-il y voir un des dramatiques effets collatéraux de l’hécatombe démographique de la Grande Guerre dans les familles françaises ? Quoiqu’il en soit, notre grand-mère a eu la chance de pouvoir bénéficier de toute l’affection de ses proches qui lui ont permis de suivre une scolarité studieuse et rigoureuse, gage d’une émancipation féminine assez rare à cette époque et – qui plus est – dans un contexte singulièrement hostile.
La récompense de ces années laborieuses est arrivée par voie…postale !

Vers 1895 Jeanne Le Donnant à gauche avec la poupée

Les « EGLIN »

L’origine de la famille EGLIN se situe dans la région de BELFORT. Le plus ancien des ancêtres sur lequel on possède quelques données est Louis EGLIN (1815-1861) qui fit carrière dans la gendarmerie dont la dernière partie se déroula dans le Doubs, en Franche –Comté.

Son unique fils, Alexandre EGLIN (1846-1909) est mon arrière-grand-père maternel et connut une enfance bien triste étant orphelin de mère dès 6 ans (et de père à 15 ans). Après la guerre de 1870 où il servit comme sapeur dans le Génie, il fit carrière dans les PTT (télégraphe et poste) d’abord au HAVRE (1873-1877) puis à VALENCIENNES, ANGERS (1887-1893), ETAMPES et VINCENNES où il termina sa carrière comme receveur des postes. Ses 4 enfants (dont mon grand-père Achille EGLIN, 1877-1957) travaillèrent tous dans les PTT au début du XX° siècle.
La sœur d’Achille (Louise), avait pour collègue – au central téléphonique de la rue de Grenelle à PARIS – une certaine Eugénie ROYRON, de St Pierre Quiberon. Celle-ci vanta si bien sa presqu’île qu’à l’été 1906, la famille EGLIN choisit St Pierre comme lieu de villégiature privilégié pour passer ses vacances au bord de mer.

Les ROYRON, installés au BEGO sur la plage de KERMAHE, avaient alors mis en rapport la famille d’Alexandre EGLIN avec celle de Pierre LE DONNANT qui la reçut comme locataire pendant 3 saisons consécutives …et c’est donc ainsi qu’après 3 années de connaissance, de relations épistolaires puis de fiançailles, un fils EGLIN (Achille) rédacteur au ministère des PTT à PARIS finit par épouser une fille LE DONNANT (Jeanne) employée de bureau de poste…à St Pierre ! Le mariage civil eut lieu, à la mairie du XI° à PARIS, le 28 Juin 1909.

Puis deux jours après, le mariage religieux se déroula à l’église de St Pierre, le 30 Juin 1909, béni par l’abbé MAHEO (recteur de Plouharnel). S’en suivit le traditionnel repas de noces avec bal breton animé jusqu’à tard le soir par un couple réputé de sonneurs quiberonnais (biniou/bombarde) juchés sur 4 volumineuses barriques, face à TY IZEL.

Fête du mariage de Jeanne et Achille dans la cour de Ty Izel
Mariage de Jeanne Le Donnant et Achille Eglin
Achille Eglin vers 1930
Jeanne Le Donnant vers 1930

Mais le rêve de prolonger la fête familiale quelque temps encore pour les vacances d’été s’est évanoui et subitement transformé en cauchemar le 4 Juillet: alors qu’il faisait très beau, Alexandre, le père de mon grand-père EGLIN partit se baigner, après le déjeuner, dans l’anse de KERBOURGNEC pas loin de l’abattoir (aujourd’hui Club-House)…C’est là qu’il fut frappé d’hydrocution et qu’il succomba.
Ce drame bouleversa à ce point les 2 familles que Pierre LE DONNANT céda à la veuve EGLIN un caveau (récemment acquis dans le nouveau cimetière de St. PIERRE) pour permettre l’inhumation de son défunt mari dans une tombe où elle le rejoindra 21 ans après à l’âge de 80 ans.

Les «GOUESIN »

Poursuivant une tradition initiée, dès « La Belle Epoque », par Théotiste (la fille du meunier-boulanger Jacques-Louis JOURDAN), l’attribution de TY IZEL en donation-partage du 06/08/1951 à notre mère Jeanne GOUESIN lui a donc permis de conserver, au sein de la famille, une partie du patrimoine foncier constitué par ses aïeux au fil des années sur le territoire de St Pierre.
Jeanne Marguerite Mary – dite « Jeannette » – EGLIN (la fille de Jeanne LE DONNANT et d’Achille EGLIN) est née à St Pierre le 04/07/1919, mariée au même lieu le 06/11/1945 et décédée le 09/12/1987 à Auray. Son époux, Francis GOUESIN – Docteur en médecine- est né le 24/05/1913 à Clohars-Carnoët (29360) et décédé le 17/12/2011 en son domicile de St Pierre. 

Pour mémoire, on signalera que Francis est d’une part, le fils de François GOUESIN (maître fourrier de Marine né en 1883) et de Marie-Anne POGAM (ménagère née en1889) et d’autre part, le petit fils de Pierre GOUESIN (cordonnier né en 1856) et de Noël POGAM (sabotier né en 1859), ses 2 grands-pères domiciliés ensemble à Clohars; en marge, on notera que Francis (au décès de son père à 37 ans) a été adopté par la Nation suivant jugement du Tribunal de Quimperlé en date du 05/10/1920.

L’histoire n’est probablement pas finie, mais nous attendrons la prochaine génération (de femme…) pour la transmission de cette maison de 180 ans

Merci Pierre de cette histoire vivante d’une famille qui s’est implantée à Saint Pierre il y a bien longtemps.

L’histoire des JOURDAN est intimement liée à la commune de Saint Pierre, Abraham et Benjamin JOURDAN furent des adjoints au maire très actifs et présents. Mais cela c’est une autre histoire…

 

2 Responses

  1. « Les ROYRON, installés au BEGO sur la plage de KERMAHE… »
    De quel Bégo s’agit-il ? Je ne connais qu’un Bégo à Kermahé au 97 rue MDP, qui était propriété de mes grand-parents Maurice Enginger et Marie-Louise Le Glohaec (petite-fille de Célestin). S’agirait-il d’une location saisonnière ?

  2. La famille ROYRON occupait, dans les années 1900/1910, l’actuelle villa « LES FLOTS » (cad.AM1124).
    Cette propriété se situe à l’extrémité sud de la plage de Kermahé au lieu-dit LE BEGO (du breton BEG, trad.pointe) qui englobe plusieurs villas dont celle des descendants de la famille de Célestin LE GLOHAEC.

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