Serge LE ROUX, de Portivy (suite)

Extrait de l'article

Serge Le Roux de Portivy nous raconte des anecdotes sur son enfance et sa vie de marin

Participants à la rédaction de cet article

Entretien de Gaël le Bourgès, Jean-Louis Guého et Jean-Claude Martin
Transcription Jean-Claude Martin Merci à Dominique Hillion pour le tableau et informations sur le Nivôse

Copie des images et textes interdits sans l'autorisation de KER1856

Entretien avec Serge LE ROUX le 27 mai 2022 réalisé par Gaêl le Bourgès , Jean-Claude Martin et Jean-Louis Guého

Serge LEROUX nous accueille dans sa petite maison d’été située à Portivy, « C’était la maison de mon grand-père ».

Serge est né en 1941 à Portivy. Il a été marin depuis l’âge de 16 ans en tant que mécanicien. Il est issu d’une famille de marins installés à Portivy . Dans le premier article il nous parlait de son grand-père.

Serge LE ROUX , marin

Serge, comme beaucoup de quiberonnais et saint-pierrois a fait carrière dans la marine.

A 16 ans j’ai embarqué comme novice. J’ai navigué et après mon service militaire j’ai fait mes études dans la marine. Pendant mon service militaire j’ai fait l’Algérie sur un patrouilleur côtier. Je suis passé par tous les grades pour finir chef mécanicien.

Le rythme c’était trois mois en mer et un mois à la maison.

Mon premier embarquement a été sur le « Nivôse » (pétrolier), c’était un T2 (bateau de 17000T). Les américains avaient fait des bateaux spécialement pour la guerre (des « Liberty ships » ou des T2) et dans le cadre du plan Marshall ils ont cédé ces bateaux à la France.

Le pétrolier Nivôse en remorque

Genre : Marine
Support : Huile sur toile
Dimensions : 61cm x 38cm
Détail : Œuvre originale de synthèse

La petite histoire du Nivôse en fin d’article

Dans la compagnie , il y avait un comptable qui s’appelait Pierre POULAIN, il avait hérité de ces bateaux-là, il avait pris un équipage, il avait même promis aux gens de ne pas être payé, il a dit : « je vous prends mais vous n’allez être payé que lorsque l’on commencera à gagner de l’argent » et les gens ont accepté parce qu’après la guerre, ils n’avaient pas trop le choix et ils sont partis et après ces gens-là ils étaient intouchables parce que le patron il était reconnaissant de cet effort et ce Pierre POULAIN il a monté sa société lui-même.

Comment je me suis embarqué ?

J’étais bien vu dans le village, alors la femme de Yvon PERRET, qui naviguait dans cette compagnie, a dit je vais écrire pour toi et j’ai été pris et je me suis embarqué comme novice au Havre.

Que je vous explique mon expédition au Havre, je n’avais jamais pris le train, je suis parti et on était trois du village de Portivy, il y avait Michel DRÉAN, Serge LE ROUX et Gégène PALAU (Eugène) pas tous pour la même compagnie, Eugène était avec moi, mais Michel DRÉAN c’était pour la « Transat » car il avait été recommandé par les frères MARTINI, sa mère était bonne chez eux. Les frères MARTINI étaient jumeaux et ils se sont mariés avec des sœurs jumelles. Ils habitaient à côté des sœurs LAVILLETTE-ESPINET[1]. Il y avait une anecdote qui disait que quand il y avait les examens il y en avait un qui passait à la place de l’autre, car il était plus doué que le premier.

Pour revenir à mon histoire à Paris, bien sûr, on s’est fait un peu rouler par les chauffeurs de taxi parisien et on est arrivé au Havre et là çà été impeccable. Mais quand j’ai vu les bateaux, je n’avais vu que les bateaux de Portivy et de Quiberon qui faisaient 18m au maximum et 6m et là c’étaient des bateaux qui faisaient plus de 150m et là de me trouver tout seul au Havre, je me suis senti un peu seul.

Je suis arrivé l’après-midi au Havre et donc je suis descendu le matin au boulot et là il y avait un monsieur qui était second mécanicien, un alsacien et il me dit :

– « vous êtes qui vous ? »

– je lui dis : «  je suis le nouveau novice machine »

– et il me répond : « on vous a jamais appris la politesse ? »

– je lui dis : « bonjour » 

– « vous êtes là depuis quand ? Et c’est maintenant que vous vous présentez ? » Avec une voix nasillarde.

C’était un alsacien qui avait fait la guerre avec les allemands, mal vu avec tout le monde, et il m’a dit :

– « vous allez suivre le graisseur et tous les soirs vous allez me faire un résumé de tout ce que vous avez appris ».

Bon, je m’occupe la matinée avec le graisseur et l’après-midi je descends et il y avait le maître-machine qui me dit :

– « tu vas nettoyer tous les bacs de peinture qui sont là ».

Alors je me mets à nettoyer et l’alsacien qui descend :

– « Qu’est-ce que vous faites ? »

– je lui dis : « on m’a dit de nettoyer les bacs de peinture ».

 « C’est pas un boulot pour vous »,

Il va trouver le maître-machine et il l’a engueulé, car il m’avait choisi le boulot et tout le monde a su que j’étais le chouchou, ce qui fait qu’on ne me parlait plus, terminé, mais je ne regrette pas cette ambiance-là, parce que j’étais obligé d’apprendre .

Et à la première escale en France, quand on est revenu, il m’a fait monter dans sa cabine et il y avait, sa femme et sa fille et il m’a dit « tu n’embrasses pas ta belle-mère … et ta fiancée ? ». J’ai été obligé d’embrasser « ma belle-mère » et ma « fiancée »

– « et vous allez au cinéma tous les trois ».

Tous les autres sortaient et allaient je sais pas où et on est allé au cinéma.

Après on est allé à Marseille, il était très mal vu et quand on est arrivé à Marseille, il a dû dire une très mauvaise parole à la femme du chef en disant qu’on le gardait à la réparation, parce que le chef n’était pas capable de les faire et la femme a  répété ça à son mari et il a été débarqué et je me suis retrouvé tout seul, mais je regrette pas parce qu’il m’a bien appris, je faisais tous les schémas et je devais faire le rapport de ce que j’avais appris la journée et tous les circuits je les connaissais mieux que n’importe qui, tous les tuyautages. Je ne regrette pas mais c’était spécial. Et puis j’ai eu de la chance parce que son remplaçant était un mec très bien, c’était un marseillais.

Et comme je jouais bien aux cartes et aux dominos et comme j’étais bien vu j’avais le droit d’aller jouer avec le commandant et le chef mécanicien.

J’ai fini ma carrière sur des plateformes pétrolières et ai pris ma retraite assez tôt (à 50 ans) en 1991[2].

Vous savez pourquoi j’ai été mécanicien ? Parce que je n’avais pas la vue nécessaire pour la passerelle, alors on m’a mis à la machine.

Souvenirs d’enfance

Tu as raconté comment tu t’es fait embaucher à l’usine de conserves TANTER (job d’été avant d’aller naviguer) ?

J’avais 14ans ½  et c’était l’usine ou la sardine, j’avais un collègue qui travaillait à l’usine et qui m’a dit qu’ils embauchaient. Le matin j’arrive à l’usine. La contremaitresse me dit : « tiens voilà un nouvel apprenti ». Je vais donc travailler et le soir le patron m’appelle et me dit : « j’ai appris que j’avais un nouvel employé ! »

J’étais rentré dans l’usine comme çà et alors on m’avait mis avec une dame, une dame de Plouharnel et tout le monde me disait : « tu t’entends bien avec elle » ; « alors oui et puis elle est gentille avec moi ». C’était pas des grandes conversations c’était : « passe-moi de l’huile ». Elle avait une sertisseuse, la plus minable parce que les autres avaient les plus modernes et donc il fallait l’alimenter en couvercles de boites, en huile, tout un tas de choses et puis il fallait ranger les boites et ça marchait impeccable.

Usine de sardines : une sertisseuse de la Bonne Bretonne

Tout le monde me disait : « tu t’entends bien avec elle ? » et je ne comprenais pas pourquoi, jusqu’au jour où j’arrivais en vélo à l’usine et je mettais mon vélo en pendant et elle me parle. Et je réalise qu’elle était sourde et muette, alors là ça m’a marqué. En fait, dans l’usine avec tout le vacarme, je regardais ses lèvres et je comprenais ce qu’elle disait, mais quand elle était dans le préau c’était « ll bl bl ». Je suis resté la regarder et là il y a eu quelque chose de cassé, après je ne lui parlais plus normalement, je me forçais à accentuer ce que je disais et c’est là que je me suis aperçu que quand vous parlez à un handicapé, il ne faut pas lui montrer qu’il est handicapé et c’est pour ça que tout le monde me disait : « tu t’entends bien avec elle » parce que personne ne le comprenait.

Et quand j’avais été un moment avec des touristes dans l’usine TANTER, j’avais dit que moi j’étais rentré dans cette usine et en fait, j’avais pas demandé « Ah c’est vous ? ». Il y avait le fils du patron « Ah c’est vous, mon père en a parlé longtemps, que moi mes employés je ne suis pas obligé d’aller les chercher, ils viennent tout seul ».

C’est une autre époque. J’aurais bien voulu la revoir cette dame de Plouharnel, pour m’excuser, mais elle doit être décédée maintenant.

Parce qu’avec les femmes là-bas, avec celles qui descendaient du Finistère, il y avait de la bagarre. Il y avait Elvina, c’était la cheffe. Parce qu’il y avait du boulot, elles travaillaient.

J’ai connu Gérard PENNEC, c’était un bon collègue, c’était un ami, il y avait Jacques et Maryvonne PENNEC, c’était la plus belle fille de Renaron, elle a une photo où elle est Miss Saint Pierre, elle a construit sa maison dans le champ à ma grand-mère.

J’avais un goéland apprivoisé, c’est le père PENNEC qui a tué mon goéland parce que soi-disant il mangeait ses salades. Le goéland me conduisait jusqu’à l’école et il revenait. On avait presque tous, à Portivy, un goéland. Il avait mangé mes « cris-cris » (mes grillons). Parce qu’on n’avait pas beaucoup d’amusement alors on chassait les grillons et les hannetons, j’en avais mis à voler dans la maison, alors ma grand-mère était pas contente.

Il y avait un personnage à Portivy qui était Monsieur LIÉNARD, c’était un monsieur qui avait une entreprise de jouets en région parisienne, et tous les ans il offrait un cadeau de Noël aux enfants de Portivy et tous les enfants de Portivy lui faisaient une pièce de théâtre pour le remercier chez Bertine dans le café, [après l’hôtel du grand large] en montant la rue du port, première maison à gauche.

Portivy était un petit village, mais il y avait beaucoup de bistrots. Dans les cadeaux, il y en avait des beaux et des moins beaux, cela engendrait des petites querelles. Et après ç’a été pour les enfants des écoles.

Il avait une belle maison toute en pierre en haut de la rue du port.

Mon premier jouet de Noël a été un pistolet à bouchon, je m’en rappelle bien, car à Noël on avait une orange et trois ou quatre bouts de chocolat. Nos jouets on se les fabriquait nous-mêmes, on faisait des arcs, on jouait dans les dunes, on allait dénicher des nids, des lance-pierres, on jouait aux indiens et aux cowboys dans la falaise, c’est pas comme maintenant, des fois on avait un cercle de vélo et avec un bâton. On avait un esprit de groupe. Au village c’était Portivy et quand on voyait ceux de Kergroix, c’était la bagarre, pareil avec Kerhostin et Le Roch [Roquenaud].

Je suis né pendant la guerre (en 1941), on avait des biquettes et pendant la guerre il y avait eu des petits larcins et on avait volé notre biquette, donc il n’y avait plus de lait, je suis resté petit pour ça, ah ah ah…

On n’a jamais su qui avait volé la biquette, on avait mis ça sur le dos des allemands, mais c’était peut-être les voisins, ils n’avaient pas beaucoup de viande. Après la guerre on avait repris les biquettes et c’était un plaisir, mais quand il y avait les petits c’était une corvée, et une fois on avait voulu les tuer, mais tout le monde pleurait dans la famille, c’est le voisin, qui a eu pitié et qui est venu les tuer, parce qu’un petit biquet ça pleure comme un bébé.

Les viviers Le Chat à gauche
Le bar Port Blanc

Il y avait beaucoup de bistrots à Portivy, parce que la paye (la part) se faisait au bistrot, et souvent il y avait des ardoises.

Dans les cafés il n’y avait pas trop de bagarres, celles qu’il y avait ce n’était pas avec les gens du coin, il y avait par exemple ceux qui travaillaient chez LECHAT, mais ça n’allait pas loin.

Avant les LECHAT, il y avait une fabrique de chaussons pendant la guerre, et puis LECHAT a pris tout ça et c’était lui, le mareyeur du coin et avant il y a eu une usine de sardines et encore avant une usine d’iode.

LECHAT avait un vivier à l’intérieur, il remontait l’eau de mer pour aller dans les bassins. Les pêcheurs ont commencé à bien gagner leur vie quand ils ont vendu leur poisson eux-mêmes aux touristes.


[1] Peintres de Portivy

[2] Mais n’ayant pas toutes ses annuités Serge a travaillé jusqu’à 55 ans. Il a travaillé pour la société ELF et la CMN.

P’tite histoire du Nivôse
Noms successifs : Table Rock, Nivose, Lake Winnipeg
Pétrolier de type T2 construit à Portland affrété pour la guerre par l’administration US
Il est revendu au gouvernement français en 1948 pour la Compagnie Nationale de Navigation de Rouen.
Renommé Nivose il effectuera une carrière commerciale en France jusqu’en 1962.
R evendu à une compagnie canadienne il naviguera encore jusqu’en 1985 avant d’être détruit à Lisbonne au Portugal le 19 mai de cette même année.
Ainsi s’achève la carrière d’un des derniers T2

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